Pendant le confinement, c'était devenu la grande question des gens qui viennent d’habitude faire leurs révolutions dans nos cabinets : « je peux venir ? »
On leur avait envoyé un mail général pour expliquer que, comme on n'est pas toubib, pendant le confinement les séances se feraient par Skype, ou pas. On avait expliqué Adeli, tout ça…mais on n'y avait pas coupé :
- Sur ma feuille de dérogation y’a écrit que je peux me déplacer pour une « consultation et soin ne pouvant être assuré à distance ». J'ai pas internet, donc… et c'est du soin ce que vous faites, ou bien je suis à côté de la plaque ?
On avait bien rétorqué à propos de plaque justement, que ce n'était pas pour rien qu’il y avait marqué « praticien en hypnose » et pas « hypnothérapeute" sur notre porte, ça n'avait pas freiné les questions. Surtout du client prof de philo :
-Ha, bon, vous n'êtes pas thérapeute, selon vous ? Quoi alors ? Genre coach ? Ou médiatrice entre les parties de moi qui s’affrontent ? Ou pousse- au-cul ? Vous êtes mon miroir magique ? Ou un genre d’enseignante en démocratie intérieure ?
C'est peut-être vrai, tout ça, mais faut arrêter les conneries : dans tous les cas, vous êtes thérapeute : la technique, elle sert à quoi ? A prendre soin.
Il est remonté, le prof. Pour un peu, je me retrouverais sur les bancs de la Fac :
- Vous souvenez de ce que ça veut dire θεραπεuω (therapoeuo) en grec ?
- Servir, prendre soin, honorer. La terre, les bateaux, les plantes, le corps ou l’âme … n’importe : se mettre au service, honorer et prendre soin. Vous faites pas ça, peut-être ? Laissez- moi rigoler. Bien sûr que pendant le confinement je peux faire de l'autohypnose. Mais c'est plus efficace quand je suis accompagné. On va plus loin parce que vous prenez soin, justement. Parce que vous honorez ce qui, chez moi, est capable de miracles. On est au moins deux, du coup à soutenir l’équipe. Vous êtes un genre de supporter qui sait qu'on va gagner, de toutes façons. On va pas inventer que c'est pas du soin, ça, quand-même ?
Alors vous n'êtes pas remboursée par le Sécu. Ok . Et c'est ce critère là qui décide que j'ai le droit de venir en présentiel à votre cabinet ? J'ai le droit d’aller me contaminer au supermarché, j'ai le droit d’aller me contaminer au boulot avec mes élèves entassés dans les couloirs de la Fac, mais dans votre cabinet, avec gel, masque et gestes barrières, non, parce que vous ne pouvez pas déclarer que vous faites du soin ? Alors c'est quoi, d’après vous, votre job ?
Je ne sais pas comment les autres hypnos ont répondu à ces interpellations remue-méninges venus ces derniers temps -confinement oblige- de clients, de collègues ou de proches. Pour ma part, voilà ce qui en est sorti : une réponse en forme de questionnements. Bienvenue aux commentaires de ceux, praticiens ou clients qui auront le goût de faire avancer le schmiiilblik.
Praticien en hypnose ?
· A la fin du 19ème siècle, en Europe, le praticien en hypnose, un docteur la plupart du temps, était un homme, puissant, sachant, en position haute par rapport à son client/patient.
C'était l’époque du tout début de la psychologie clinique, on réalisait que le conscient n'était qu'une toute petite partie de notre iceberg personnel et qu'il n’était pas tout puissant.
On découvrait l’invisible en nous et avec Freud -docteur révolutionnaire- on le nommait : le Ça, le Moi, le Moi idéal, l’Idéal du moi, le Surmoi.
Tout à coup on postulait que le conscient était limité, et que l’inconscient était vaste, plein de ressources, mais devait être éduqué guidé ou dompté comme un jeune enfant, une femme, ou un mammifère sauvage…
On a donc fait de l'hypnose autoritaire en shuntant le conscient tout en donnant des ordres à l'inconscient. C'est l’époque du : "dors, je le veux !"
(Il en reste parfois quelques traces aujourd'hui : "…et tu ressens un profond dégoût de la cigarette"…)
· Ensuite, au 20ème, on a considéré que si le conscient était limité, l’inconscient lui, au contraire, disposait d'une sagesse et de ressources immenses, auxquelles on pouvait accéder et que l'on pouvait laisser travailler.
Le travail de l’hypnotiseur était plus technique et discret, moins autoritaire et plus modeste : il consistait à tromper le conscient ou à le dissocier, l’envoyer se faire cour ailleurs puis à laisser faire l’inconscient. ..
C'est Milton Erickson qui a incarné cette posture. Drôle de docteur, révolutionnaire lui aussi, dont la phrase préférée était « je ne sais pas ». Lui même malade, modeste, il a mis le praticien en position basse par rapport à son client/patient.
(Cette position modeste à entre autres pour effet de d’abaisser les défenses du conscient et permet de mieux les contourner. Elle est souvent vécue par les praticiens de façon plus stratégique que réelle : l'ego du praticien peut garder quand-même l'idée qu'il est un super-crack dont l’habileté est mesurable à sa capacité à tendre des pièges au conscient, lui jouer des tours, l’embrouiller, le semer ; et l'on voit couramment de jeunes praticiens s’enorgueillir de la façon dont ils ont filouté le conscient de leur client….)
· Des la fin du 20e siècle (explorations ludiques en tous genres des années 70, de l’école de Palo Alto en passant par S. Groff, Carlos Castaneda et le mouvement New âge, les pratiques de l’autohypnose, la méditation, le néo- chamanisme, et les travaux des élèves de Erickson comme S. Gilligan, etc), on est arrivés à une troisième conception du travail avec l’hypnose.
On considère maintenant que transer est un état et un besoin naturel, comme de respirer, dormir, manger, et qu'il est expérimenté très simplement, par tous, plusieurs fois par jour.
Comme il consiste à se placer « ailleurs » que dans l'état de conscience habituel, l’état d’hypnose est spécialement utile chaque fois qu'on a besoin de créativité, d’aller vers du nouveau… et dès lors on peut -ou pas- faire appel à un praticien, spécialiste en transes, pour ça.
Il est vrai que selon les cas et les besoins, ce praticien qui va nous aider à « transer » peut être artiste, philosophe, sportif, toubib, humoriste, etc.
Plus que dirigeant, maître ou technicien, il se fait enseignant, médiateur ou thérapeute (en effet dans le sens étymologique de « servir, honorer, prendre soin") et il accueille celui-celle qui vient le consulter comme un accompagnant, en position ni haute ni basse. (Si on devait définir cette position, je dirais que le plus juste serait de dire « fraternelle »)
Le « praticien transeur » considère toujours l’inconscient comme intelligent, mais il considère aussi le corps comme un partenaire valable, avec sa sagesse propre, et n’évacue pas le conscient, lui laissant au contraire sa place et responsabilité dans le processus.
Cette manière de faire ne shunte personne. On fait de la démocratie participative -comme dit le prof de philo- des conciles, des négociations : on organise la conversation, la rencontre, la danse d'où surgira un point de vue neuf, créatif. Un réveil.
Pour être "praticien transeur", il faut être formé, oui. Mais à quoi ?
La formation du praticien en transes :
A la médiation, à l’hypnose, à la psychologie, la psychopathologie, aux neurosciences, aux thérapies systémiques, à la rhétorique,
Mais aussi pourquoi pas à la cybernétique, à la mécanique des fluides, l’anatomie, la communication animale, aux arts martiaux,
Ou encore à la philosophie, à l’anthropologie, au langage symbolique, à la danse, à la poésie, au chant, au conte, au clown, à la méditation, au voyage entre les mondes, à la cuisine?
Qu’importe en réalité. Nos certifications ont la valeur de la réputation des écoles qui nous ont formés, mais ce ne sont pas (encore) des diplômes reconnus par l'état (même si dans incertains nombre de cas, nos consultations sont remboursées par des mutuelles). Et puis on sait bien que ceux qui en étalent le plus sur leur cv ne sont pas toujours les meilleurs.
Le praticien – qui aujourd'hui plus qu'hier est souvent une praticienne- n'a jamais fini d’apprendre : il est non seulement modeste, mais aussi impliqué lui-même dans une découverte constante des territoires invisibles dont il fait partie.
Il dit : « Je me tiens face à toi comme un frère (une sœur), qui marche, comme toi , sur le chemin. Je sais, pour l’expérimenter sans cesse avec moi-même et avec des dizaines d'autres, que tu es plus grand, plus merveilleux, plus puissant que ce que ton seul conscient te le laisse croire. Plus grand que le (problème, blocage, symptôme) avec lequel tu arrives ici et dont pour le moment tu aimerais te débarrasser.
Maintenant, avec confiance, fermeté et un discret émerveillement, j’organise la rencontre entre le visible et l’invisible. Ensuite…. C'est à toi de jouer. »
-Alors c'est quoi, d’après moi, mon job ?
Je n’ai pas le droit de l’affirmer, que je suis thérapeute -dans le sens étymologique du terme- et c'est
dommage. Je suis donc « praticienne transeuse » et au même titre qu’un philosophe, un artiste, ou un sportif, j’accompagne les gens qui viennent en consultation dans un chemin qu’il faut bien appeler un soin.
Pas le soin qu’offre le toubib, pas celui du psychologue, non; mais « soin » en ce sens qu’à chacune des personnes qui viennent se révolutionner dans mon cabinet, j’offre mon soutien : je sers et j’honore la vie en eux, je prends soin du souffle de l’âme qui réclame son droit de passage.
C'est donc du soin, et quelques fois, ça ne peut pas attendre.
J'ai reçu le prof de philo et quelques autres, pour qui un rdv avec internet était impossible. Je l'ai fait en respectant tt les précautions sanitaires, et je suis heureuse d’avoir pu le faire, tranquillement.
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