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Histoires!

Dernière mise à jour : 24 déc. 2022

Coup de gueule d’une Hypno-Conteuse

 




Je suis venue à l'hypnose par les histoires, parce que je raconte des histoires depuis toujours : depuis ma naissance comme tout le monde, mais aussi comme artiste-conteuse professionnelle depuis 33 ans. Les histoires me passionnent.

Et voilà que ce matin au réveil, j’entends un type à la radio (tu sais ? un de ces tenants de « la réalité » genre : la réalité c’est qu’il va falloir travailler plus pour gagner moins, le marché et ses fluctuations tiennent des lois de la nature, c’est comme la météo, etc. Et ce type, trois fois en 5 minutes, assène : « et il faut arrêter se raconter des histoires, hein ! »

-Chiche !



●Pourrait-t-on vivre sans histoires ?

On ne peut pas.

Les publicitaires, les politiques le savent bien, eux, qu’on se dope aux histoires.

Ils en inventent pour nous en permanence. La plupart du temps en douce, l’air de rien, mais avec un art consommé. D’ailleurs, Storytelling aujourd’hui ne désigne pas l’art du conteur, mais celui du responsable de com’, qui raconte des histoires dans le but de vendre un produit ou une image de marque. Et ça marche ! Pourquoi ?


Parce qu’on adore ça, qu’on nous raconte des histoires ! Ça met de l’émotion, ça range le chaos dans un moule sensé, c’est rassurant….et puis de toutes façons, on ne peut pas faire autrement.

Nos 5 sens, notre cerveau et notre système nerveux, mais aussi nos valeurs, nos croyances opèrent en permanence des choix dans ce que nous percevons et créent une histoire singulière. Nous héritons des histoires de notre culture, de notre famille, de notre milieu social, récits qui concernent les aspects les plus concrets de notre vie jusqu’aux plus abstraits. Avec les histoires, nous faisons société.

« (…) sous ses formes infinies, le récit est présent dans tous les temps, dans tous les lieux, dans toutes les sociétés ; le récit commence avec l’histoire même de l’humanité ; il n’y a pas, il n’y a jamais eu nulle part aucun peuple sans récit. » Roland Barthes


… Et en ce qui me concerne, découvrir les histoires que je me raconte sur moi et sur le monde, m’enrichir de celles des autres, c’est un vrai grand plaisir !



●Que se passe il -entre autres- quand on écoute un.e conteu.r.se ?

Je suis assise sur un banc d’école très inconfortable. DEix enfants à peu près et le même nombre d’adultes ont pris place dans cette salle transformée en théâtre pour la durée du festival, il fait une chaleur impossible : nous sommes à Avignon.

Après avoir vu un certain nombre de pièces de théâtre et prise d’un genre de nausée de « trop de forme, pour pas assez de fond », je me suis refugiée dans ce petit lieu où on annonçait : « conteur ». Au moins, me suis-je dit, j’aurais juste en face de moi quelqu’un et son art, et pas une débauche de décors et d’accessoires.


Le conteur en l’occurrence est une conteuse. Elle commence avec une histoire un peu marrante. C’est frais, joli, ça ne casse pas des briques mais c’est honnête et déjà, ça fait du bien. Je me détends…

Elle enchaine avec une série de pirouettes sans queue ni tête, des menteries traditionnelles qui te retournent joyeusement la tête.

Une menterie, quand c’est bien fait, ça te donne l’impression que c’est absurde et en même temps que si tu te concentrais mieux, tu saisirais ce sens caché que tu devines…et pendant que ton mental s’accroche et cherche du sens, le conteur a pris mille longueurs d’avance, t’a déjà roulé trois fois dans la farine, et tu finis par te dire « oh et puis merde » et tu lâches tout. (Note pour les hypnologues : ça ressemble à un mélange d’induction par saturation et confusion…en plus joli).

L’artiste est habile : mon mental analytique s’en va prendre le frais dehors et je suis prête à écouter le récit suivant : un grand conte merveilleux.

Et voilà. La femme parle, et les murs de la pièce disparaissent autour de nous, la conteuse devient transparente -ou plus exactement devient écran de projection pour chacun de nos imaginaires.


A ce moment-là, l’histoire devient si réelle que quelque chose, là, est transmis substantiellement. Elle entre dans la mémoire de celui qui l’écoute pas seulement intellectuellement mais émotivement, physiquement, spirituellement. Elle devient Expérience.


La science aide à mesurer ça, aujourd’hui. Par exemple, on sait que lors du traitement des faits, deux zones du cerveau sont activées (aires de Broca et de Wernicke). Mais quand une histoire est bien racontée, elle engage de nombreux domaines supplémentaires, notamment le cortex moteur, le cortex sensoriel et le cortex frontal, et ainsi c’est l’ensemble du cerveau qui se mobilise : non seulement les aires du langage ou des mathématiques, mais aussi les centres de l’émotion et de la mémoire et les zones associées aux perceptions sensorielles, motrices…




●L’étrange biologie des histoires

-Le couplage neuronal, les neurones miroirs.

Les neurosciences confirment aujourd’hui que les zones du cerveau qui sont activées quand on écoute, sont les mêmes que quand on raconte et que les ondes cérébrales des auditeurs écoutant la même histoire se synchronisent (il y a comme un couplage neuronal entre le conteur et les auditeurs).

Frans de Waal, Jean Decety et Vittorio Gallese sont des psychologues qui ont supposé que les neurones miroirs jouaient un rôle conséquent dans l’empathie, c’est-à-dire dans la capacité à reconnaître et ressentir les émotions d’autrui. Leur étude montre par exemple que la partie antérieure du lobe de l’insula est active aussi bien quand la personne éprouve du dégoût que lorsqu’elle voit quelqu’un exprimant du dégoût : tu me racontes, je le vis.


Plus encore, on sait maintenant l’auditeur a toujours un peu d’avance sur le locuteur (alors là, ça m’a d’abord étonnée. Et pourtant c’est évident : chez chacun, il y de vieux restes de notre cerveau des temps anciens, du temps ou pour survive, il fallait décoder tout et vite. Quand quelqu’un raconte une histoire, nous écoutons les mots, mais aussi tout le langage non verbal et nous fabriquons à toute vitesse, le chemin sur lequel nous avançons. Nous prenons toujours un peu d’avance « au cas où »)


-… Si on ajoute que l’ocytocine, la fameuse « hormone de l’amour, de la confiance et du lien social » : est générée quand on écoute une bonne histoire. (voir l’étude de Paul Zak), on comprend mieux comment on devient accro !


-●Humour, Poésie, Recadrages, Hypnose : se la raconter autrement

-Certaines familles de contes de tradition orale ont vraiment pour fonction de chambouler nos histories trop figées, d’ouvrir des portes, laisser entrevoir d’autres possibles plus ouverts, plus nuancés, paradoxaux.

-L ’humour, la poésie aussi, reposent souvent sur un renversement des histoires ; une manière différente d’envisager les choses.

Et ce que fait un hypnologue en cabinet, n’est-ce pas essentiellement permettre au sujet de sortir des histoires trop limitantes avec lesquelles il vit pour s’en créer de nouvelles, plus aidantes ?

Bref : n’en déplaise au Monsieur-de-France-Inter-dont-j’ai-oublié-le-nom, on n’est pas près d’arrêter de se raconter des histoires. Mais peut être pouvons-nous choisir celles avec et dans lesquelles nous avons envie de vivre-ou pas!


Pour aller plus loin : Livres : -Rolland JOUVENT, « Le Cerveau magicien : de la réalité au plaisir psychique » -Joseph Campbell “Le héros aux 1001 visages » -Giacomo Rizzolatti, Corrado Sinigaglia. "Les neurones miroirs". -Adrien Rivierre, « L’homme est un conteur d’histoires » -Anouk Grimberg « Dans le cerveau des comédiens » Voir aussi le travail de R. Dilts et S. Gilligan sur « le voyage du Héros » Articles : https://www.science-et-vie.com/article-magazine/merveille-neuroscientifique-quand-nos-cerveaux-sharmonisent

Vidéos: David Phillips: “The magical science of storytelling Metronomes: https://youtu.be/5v5eBf2KwF8

Radio : - sur les épaules de Darwin à propos des neurones miroirs : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/sur-les-epaules-de-darwin/le-partage-des-emotions-6110174 Film : Wizard of the désert life of Milton Erickson « Les gens viennent me voir, je leur raconte des histoires, puis ils repartent et ils changent » M. Erickson


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